Tout en rondeur

La forme circulaire est synonyme d’une image omniprésente dans le monde plastique. Elle nous est si familière que de s’interroger sur ce qu’elle représente d’implicite ne nous paraît guère nécessaire.

Il est pourtant plus qu’intéressant de comprendre tous les sens cachés attribués à cette forme qui nous entoure depuis toujours. En effet elle est mère de la constitution du monde sensible, l’atome est sphérique tout comme les électrons qui gravitent autour; chez les vivants, la cellule est est ronde pareillement à son noyau. Le cercle représente la vie et le monde à l’échelle microscopique avec les atome, humaine avec l’oeuf, et macroscopique avec le système solaire et l’univers.

Les cercles font donc partie intégrante de ce que nous sommes et de ce qui nous entoure. Artistiquement , nous pouvons créer un parallèle entre cet omniprésence et les différentes interprétations de ce qu’est le rond, et l’aspect immersif de certaines installations jouant avec cette forme à différentes échelles.

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Nike Savvas – Atomic : full of love, full of wonder. 2005 Australian Center for Contemporary Art, Melbourne.

L’oeuvre de Nike Savvas « Atomic : full of love, full of wonder » suggère les atomes même. Ce travail hypnotisant offre un effet d’optique singulier. En effet, 50.000 balles rebondissantes en polystyrène sont suspendues grâces à des fils de nylon transparent en un immense arc en ciel coloré et oscillent grâce à des ventilateurs disposés dans l’espace d’exposition. L’effet de vibration créé envoute le spectateur et le plonge ainsi naturellement dans l’oeuvre. 

 

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Daniel Arsham – Amethyst Sports Ball Cavern. Galerie Perrotin, New York, 2016.

Daniel Arsham lui aborde cette sphère atomique différemment. L’espace n’est pas organisé comme précédemment. L’artiste a eu pour cette oeuvre la volonté de créer une grotte avec ses niches, colonnes et stalactites, à la différence avec une vraie que les composants des roches sont ici des balles violettes de sport de différentes tailles accrochées les unes aux autres de manière aléatoire. Le spectateur appartient ici à un monde qui relève du réel et de l’irréel avec des éléments identifiables mais un environnement abstrait. La répétition en masse dans cette installation à large échelle fait echo à la dimension infinie du cercle qui n’a ni commencement ni fin et vient happer le spectateur qui n’a plus de point d’accroche précis dans cet espace.

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Yayoi Kusama – Dots Obsession-Love Transformed into Dots  Victoria Miro Gallery, London, 2006.

« Ma vie est un pois perdu parmi des millions d’autres pois… »

Yayoi Kusama, la célèbre artiste japonaise nous invite dans son univers peuplé de pois, de ronds, de formes sphériques… 

Enfant, l’artiste était sujette à des visions hallucinatoires dont l’une a été qu’un motif à pois décorant une nappe familiale se répande et se répète dans la pièce. Ainsi, ses oeuvres sont le reflet des hallucinations qui l’habitent. Elle développe un travail qu’elle qualifie d’obsessionnel fondé sur la répétition et le décuplement souvent de manière exponentielle. On retrouve des motifs à pois, des formes sphériques dans lesquelles on peut pénétrer ou bien simplement posées au sol, suspendues au plafond, accrochées aux murs… Ses installation sont un réel méli-mélo d’informations pour le visiteur qui s’efforce de toutes les observer, de les comprendre, de les assimiler. Nous sommes perdus dans l’oeuvre, soumis à une dimensions vertigineuse causée par la perte de tout repère; c’est ainsi que l’artiste nous immerge dans son esprit, dans ses hallucinations et élans de folie.

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TeamLab, Homogenizing and Transforming World. Exhibition Distilling Senses: A Journey through Art and Technology in Asian Contemporary Art. Centre d’Art d’Hong Kong, 2013

Le rond, la sphère sont aussi évocateurs de partage ainsi que la concentration et la circulation d’énergie. On pourrait penser que le collectif interdisciplinaire Teamlab a remis cet interprétation au gout du jour avec une problématique propre au 21ème siècle: internet, le partage instantané des informations, la mondialisation et l’unification du monde; avec l’installation Homogenizing and Transforming World datant de 2013.

Elle consiste en des balles flottant dans une salle fermée, communicant les unes avec les autres via une connection sans fil. Elles émettent des sons, changent de couleur et propagent la couleur aux autres lorsqu’elles sont en contact avec un visiteur, entre elles, ou une cloison. Ici, le spectateur est acteur, il est en contact direct avec les éléments de l’installation, comme noyé, emprisonné dans les grandes sphères toutes identiques. L’immersion est totale, il lui est proposé non pas seulement d’être compris dans l’espace et l’oeuvre, mais d’en être le chef d’orchestre.

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Anish Kapoor, Le léviathan Grand Palais, Paris. 2011

 «Le Leviathan est cette grande force archaïque pour moi liée à l’obscur. C’est un monstre encombré par son corps qui garde des régions oubliées de notre conscience» A.K.

Anish Kapoor est un artiste britannique né à Bombay en 1954. Familier avec les oeuvres monumentales, il avait notamment réalisé Le Cloud Gate en 2006 à Chicago et c’est tout naturellement que cinq ans plus tard, il s’est affairé à une oeuvre d’autant plus imposante lors de l’exposition annuelle Monumenta au Grand Palais à Paris.

Le rond est l’univers, le cosmos, le tout, le divin qui a droit de vie ou de mort sur les créatures peuplant le monde. De la même manière, le cycle de la vie et de la renaissance est abordé à travers la métaphore directe entre la sphère et la femme dans son aspect de fécondité. Par conséquent, le Léviathan ne pouvait raisonnablement pas se présenter sous forme d’un volume à l’aspect rectiligne, aux bords droits et incisifs. C’est une antre de Trente-sept mètres de haut, gonflée d’air pulsé qui nous accueille, comme un ventre maternel nous enveloppant qu’Anish Kapoor a visualisé pour métaphoriser le léviathan, ce monstre biblique, cette créature marine révoltée, souhaitant engloutir le monde et ses créatures.

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Le spectateur ne cesse de vouloir prendre du recule, essayer de contempler l’oeuvre dans son intégralité afin de comprendre ce qu’elle est et qui l’environne, en vain. L’oeuvre à été étudiée de manière à ce qu’elle n’offre aucune vue d’ensemble. On la comprend, la décortique en tournant autour, en y entrant, en en sortant. La forme trilobée de l’oeuvre ne peut alors être visualisée que dans notre esprit à force de recueil d’information et d’images.

A l’intérieur, le premier choc s’opère au niveau de l’intensité lumineuse éclairant faiblement la construction et à la couleur aubergine intra-utérine qui baigne cette cavité. Il est pénible de rester longtemps au sein de cette membrane tant l’espace illusionniste nous désoriente et nous oppresse. Il y fait chaud, 271 visiteurs confinés partagent cette experience en même temps. On note que la pression de 300 pascals, accentue un peu plus la sensation d’enfermement. Au coeur de la structure, on peut apercevoir trois formes alvéolaire auxquelles nous n’auront jamais accès, notre imaginaire seul peut nous renseigner sur ce qu’elles renferment.

Le spectateur est baigné dans une ambiance de science fiction, se croyant comme dans le ventre d’un monstre, au sein d’un uterus où il expérimente la mort et la renaissance. La vue est dénaturée par cette lumière inhabituelle et oppressante, l’ouïe altérée par l’écho présent au coeur de la structure (possible par sa rondeur), l’odorat attaqué par cette atmosphere lourde et cet air stagnante. L’experience immersive est ici complète, nos sens sont désorientés tel que l’envie du spectateur n’est pas de profiter de l’experience mais simplement de la vivre et la quitter.

 

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