Reflets.

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Le miroir fait parti de notre évolution, Henri Wallon même sera le premier à déclarer que le miroir fait parti de notre développement psychologique, c’est ce qu’il nomme « le stade du miroir ». C’est une étape de vie, durant laquelle la personne -souvent l’enfant- prend conscience de son corps et apprend à le distinguer de celui des autres en utilisant, justement le miroir. 

Dans l’art, les miroirs sont utilisés pour différentes raisons, avec des buts variés.

Le miroir pouvant prendre la place du sol, il reflète alors le bâtiment et particulièrement le plafond.  Par exemple, Dominant Dominé, de Daniel Buren, est une oeuvre in situ, réalisé au CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux en 1991. L’artiste a choisi de mettre une structure oblique recouverte de feuille de miroir sur les 1465,5 m2 de surface. Le plan incliné relie les deux niveaux du bâtiments. Daniel Buren a aussi habillé les arches de panneaux PVC blancs sérigraphies de bandes noires, pour accentuer l’architecture particulière du lieu. Le lieu est pour lui le centre de tout car si il a choisi de faire une oeuvre avec un   miroir c’est qu’il trouvait que cet endroit avait une identité tellement forte et propre à lui-même que quelque soit l’exposition faite à l’intérieur, il prenait plus d’importance que ce qui était exposé, alors il a décidé de faire se refléter le lieu. L’oeuvre est le lieu, elle ne peut pas être supplantée par le bâtiment. 

L’oeuvre de Daniel Buren et le lieu qui l’abrite deviennent indissociables. 

Le miroir au sol reflète l’intégralité du bâtiment, de long en large et de bas en haut, chaque élément de l’architecture se retrouve alors dans le miroir doublé, prolongé et inversé. Il relie les deux extrémités du bâtiment, les réunissant en une seule courbe fermée. La perspective et la stabilité du lieu ne sont plus ni sûres, ni nettes, le miroir perturbe cela, mais également les sens et la logique du spectateur.

Il change aussi l’atmosphère du lieu en le rendant plus clair, puisque la lumière est reflétée de façon multiple. Le miroir rend le bâtiment unique, il n’en fait qu’une courbe, et oblige le spectateur à se confronter à une image du lieu bien différente de celle normalement vue. Si il se confronte au lieu lui même et du reflet de ce dernier, il se confronte aussi à sa propre image reflétée sous lui quand il se trouve sur le miroir. Ce dernier confronte le bâtiment avec lui même, le spectateur avec lui même, mais aussi les deux ensemble.

 

  Dans certaines oeuvres le miroir n’habille pas qu’au sol, il envahit les murs, voir le plafond. Le   miroir devient même le matériau principal, ou en tout cas le seul que le spectateur voit, comme dans l’oeuvre de Lee Bul, Via Negativa II, en 2014. C’est un labyrinthe fait entièrement de miroirs et de métal réfléchissant, à l’architecture simple puisqu’il suffit de suivre le chemin pour en  sortir. Cependant, étant fait de miroirs, tous les reflets multiplient les images et perturbent le visiteur, au point de le perdre. Le chemin à beau être simple, l’utilisation des miroirs déstabilise et désoriente le visiteur. Celui ci doit en permanence, pendant la traverser du labyrinthe, se confronter à la perspective qui est facilement altérée par le matériau. 

Cette structure de métaux et miroirs renvoie aux promesses et faiblesses de la technologie, à l’éternelle recherche, de l’homme, de l’utopie qu’il n’atteindra jamais. Mais Lee Bul répond à cette affirmation par « En tant qu’êtres humains, le fait d’être voués à l’échec ne signifie pas que nous devons cesser d’en rêver. ». Il questionne sur la perspective et la technologie mais il permet aussi au visiteur de se confronter à des fragments de lui même. 

 

Le miroir change les perspectives en fonction de son orientation, et de la manière dont le spectateur le   regarde.

Leandro Erlich à fait en 2004 une oeuvre nommée Le Bâtiment, qui utilise un miroir pour renverser l’orientation. Au sol de la grande halle du 104, l’artiste a reproduit la façade d’un immeuble typiquement parisien du dix-neuvième, et au dessus, il a placé un immense miroir incliné à 45°. Celui ci perturbe et fait douter de la perception des choses aux spectateurs. Ces derniers s’approprient ce décor en trompe l’oeil qui devient un terrain de jeu, ils jouent, imitent des suspensions dans le vide, et leurs mouvements deviennent presque chorégraphiés. Deux ans après il l’a refait, au Japon, avec une façade typiquement japonaise, proposant la même interactivité aux visiteurs. Le but de cette installation est de modifier les perceptions de la réalité mais aussi et surtout de créer un espace insolite. Il agit sur l’inconscient des spectateurs et rend ses oeuvres ludiques, faisant de ses installations des expériences collectives. 

 

Dans quelques cas, le reflet des miroirs provoque des oeuvres interactives, telle celle de Masakazu Shirane et Saya Miyazaki, nommée Wink Space, faite sur un court temps en 2013. Elle a été réalisé dans le cadre de la Kobe Biennale’s Art Container Contest. Cette installation est un kaléidoscope géant à l’intérieur d’un conteneur d’expédition; elle est faite de mille cent feuilles miroirs triangulaires pliées à la manière des origamis, et rattachées entre elles par des fermetures éclairs. De cette manière cette oeuvre est psychédélique,   interactive et interchangeable. Les artistes ont créé une pièce qui éclate les perceptions, les feuilles miroirs sont disposées de façon polygonale, alors l’oeil perturbé se perd dans la structure et toutes les formes présentes se décomposent. Pour avancer dans cette forme il faut dézipper les fermetures éclairs de la structure, la faisant se faire et se défaire pour la moduler. Le système de fermeture éclair n’est pas une première pour ces deux artistes. L’intérêt pour Shirane et Miyazaki était aussi d’intégrer dans un espace de douze mètres de long une structure qui fait quinze par huit mètres de surface. Ils sont réalisé cela auparavant sur des logiciels 3D, puis ont tout mis en place en seulement quatre heures, pour deux mois d’exposition et d’utilisation, avant d’être désassemblé. Cette oeuvre d’art fragmente les images.

 

 Quart mile arc, de Phillip K Smith est une oeuvre fragmentant le paysage. Il a installé sur un arc de deux cent cinquante mètres de long, des colonnes en miroirs. Il a choisi une plage, Laguna Beach, de Californie du sud, pour ses couleurs changent tout au long de la journée; cela permettait un changement constant dans les reflets des  miroirs. Les colonnes formant  une courbe douce, sont recouvertes d’acier inoxydable poli et sont implantées verticalement sur la plage. Leur placement est régulier et forme  une barrière fragmentée entre la ville et la mer, sorte de délimitation, par l’homme, entre la nature et le monde humain. Il a choisi le miroir comme matériau, pour faire se refléter le paysage et les couchés de soleil font la renommée de la Californie du Sud. Les reflets et ombres se font aussi sur le sol, changeants, tels un cadran solaire, et permettent à l’oeuvre de fonctionner sous différents points de vue sur tout le long de la falaise et de la rue, mais aussi sur la plage, de loin ou de près.

Cette installation n’est resté que trois jours en place malgré l’utilisation d’une structure et de matériaux qui auraient pu permettre une exposition sur une plus longue durée. 

 

Les oeuvres immersives utilisent certaines fois des miroirs, et leur présence modifie l’espace qui les accueille. Ils peuvent faire perdre tout repère aux spectateurs, agrandir l’espace, ou, au contraire le diviser. Le miroir nous montre une copie inversée de la réalité et non la réalité elle même c’est pour cela, pendant un court instant, que le miroir transforme l’espace, tout aussi bien que la vision et l’esprit du visiteur.

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Références :

Daniel Buren :

-Article du CNAP sur le travail de Daniel Buren, « EXCENTRIQUE(S) travail in situ », 2012,  http://www.cnap.fr/sites/default/files/article/129055_quelques_oeuvres_cles_d.buren_.pdf

-Fondation d’entreprise Ricard, entretien entre Daniel Buren et Catherine Francblin, « Daniel Buren, Patrick Bouchain, «Art et architecture, une association contre-nature ?» », 2004  https://www.fondation-entreprise-ricard.com/Conferences/view/165-daniel-buren-patrick-bouchain-art-et-architecture-une-association-contre-nature

Daniel Buren, Dominant – Dominé, images, https://danielburen.com/images/artwork/1292?&lang=fre

Lee Bul :

-Vice, EMERSON ROSENTHAL, Lee Bul’s Labyrinth of Infinity Mirrors: Via Negativa II, 2014 https://www.vice.com/en_us/article/ez5nxa/lee-buls-labyrinth-of-infinity-mirrors-via-negativa-ii-video

images de Lehmann Maupin

Leandro Erlich :

-Archéologie du futur / archéologie du quotidien, PALAGRET, « In perception: Bâtiment de Leandro Erlich au 104, trompe-l’oeil, illusion et vertige », 2011 http://archeologue.over-blog.com/article-batiment-de-leandro-erlich-au-104-trompe-l-oeil-illusion-et-vertige-86366346.html

Masakazu Shirane et Saya Miyazaki :

-Journal du design, JDD, « Wink Space par Masakazu Shirane et Saya Miyazaki », 2014 http://www.journal-du-design.fr/design/wink-space-masakazu-shirane-saya-miyazaki-48285/

-Vice, MATTHEW JAMES CLARKE, « Pénétrez au coeur d’un kaléidoscope géant », 2014 https://www.vice.com/fr/article/ez5z5a/enormous-kaleidoscope-transforms-an-industrial-shipping-container

Phillip K Smith :

-Deezen, DAN HOWARTH, « Phillip K Smith III’s Quarter Mile Arc reflects sea and sky at Laguna Beach », 2016 https://www.dezeen.com/2016/12/19/phillip-k-smith-iii-quarter-mile-arc-reflects-sea-sky-laguna-beach-california-design-installation/

images de Lance Gerber

 

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