Quand les artistes réinventent l’espace naturel

La nature constitue une source d’inspiration inépuisable dans le domaine de l’art. Cette dernière a souvent fasciné et intrigué de nombreux artistes qui ont cherché à matérialiser ce qui ne peut être palpable à travers des installations imposantes.

Cette volonté de produire des œuvres immersives reconstituant un environnement naturel semble inutile voire impossible, la nature constituant à elle seule un environnement immersif. Cependant, à travers leurs œuvres, les artistes nous font part de leur vision de la nature en investissant de manière très personnelle et subjective l’espace.

C’est le cas pour l’artiste Kohei Nawa, qui a choisi de nous fait part d’une vision poétique et magique du nuage à travers l’installation Foam.  Dans cette œuvre, le spectateur est invité à vivre une expérience sensorielle dans laquelle il peut toucher et déambuler au cœur d’un labyrinthe surréaliste de nuages (constitués d’un mélange de détergent, d’eau et de glycérine formant une mousse suffisamment rigide pour tenir debout). Seuls les nuages sont éclairés par des lumières situées au plafond ; le spectateur, lui, est plongé dans la pénombre, favorisant ainsi son immersion dans l’œuvre.

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Nawa Kohei (né en 1975), Foam, 2013, Triennale d’Aichi (Japon)

Tokujin Yoshioka invite également le spectateur à déambuler à travers un parcours formé par 2 millions de pailles en plastique transparent dans son installation Tornado. Le visiteur est complètement immergé dans une tornade de pailles perturbant ses repères spatiaux temporels. Le sol et les murs sont recouverts de pailles figées dans leur mouvement comme arrêté par le temps. L’installation déborde dans le couloir, invitant le public à pénétrer dans la pièce. A partir d’une seule matière, les deux artistes ont su recréer un espace naturel empreint de poésie transportant les visiteurs dans un univers parallèle.

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Tokujin Yoshioka (né en 1967), Tornado, 2015, Saga Perfectural Art Museum, Japon

D’autres artistes n’hésitent pas à investir les airs afin de faire vivre au visiteur une expérience unique dans un monde parallèle. C’est le cas de l’installation Cloud Cities de Tomas Saraceno à Berlin, dans laquelle le visiteur se retrouve plongé dans une ville aux aspects futuristes. Cette œuvre est composée d’une vingtaine de biosphères de plastique souple, suspendues à des fils de fer forgé, évoquant des bulles de savon. Certaines contiennent de l’eau, d’autres des plantes et deux d’entre elles peuvent accueillir des visiteurs. L’œuvre brouille tous repères spatiaux temporels et fait appel à l’imagination du spectateur. De plus, le lien entre l’œuvre, l’espace et le spectateur est renforcé par la présence de visiteur dans ces « villes-nuages », permettant ainsi de donner vie à cette installation utopique.

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Saraceno Tomás, Cloud cities, 2011, nef du musée Hamburger Bahnhof de Berlin

James Corner a, lui aussi, investi l’espace dans sa globalité avec l’installation Icebergs. En effet, le sol et les airs sont exploités grâce à un voile bleu suspendu à 6 mètres du sol divisant l’espace en deux (au-dessus de et sous l’eau). Le visiteur se retrouve alors immergé dans un monde sous-marin. Plusieurs icebergs de différentes tailles fabriqués à partir de matériaux réutilisables tels que des échafaudages et des panneaux en polycarbonate sont disposés au-dessus et en dessous du voile. Le plus grand iceberg (17m) est une tour d’observation surplombant l’installation et pouvant accueillir des personnes. Cette œuvre immersive est un espace ludique et de détente. En effet, des assises sont disposées un peu partout, invitant le spectateur à occuper l’espace. De plus, un des icebergs se transforme en toboggan, créant ainsi un terrain de jeu pour les enfants. Les jeux de lumière naturelle produits par les ouvertures du bâtiment créent une ambiance poétique au sein de l’installation, évoquant les lumières sous l’océan. Une lumière bleutée émanant de quelques icebergs accentue cette impression.

Lorsque le visiteur arrive dans la nef, il est immédiatement dominé par cette imposante installation. L’immersion est quasi totale lorsque celui-ci pénètre au sein de l’installation. Le sol et les murs changent de texture et de couleur. Le spectateur est amené à déambuler à travers l’espace et découvrir les différents éléments de l’installation. Tout comme l’œuvre de Tomas Saraceno, le visiteur est plongé progressivement dans l’univers. Cependant, le spectateur n’est pas complètement immergé dans l’installation. En effet la transparence du voile laisse entrevoir le bâtiment, ne permettant pas au spectateur de se détacher totalement du monde réel ; ceci peut être un choix de l’artiste invitant le spectateur à garder les pieds sur terre afin de se questionner sur le monde actuel et ses problématiques dont le réchauffement climatique.

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James Corner, Icebergs, Washington DC museum, Washington, 2016

D’autres artistes comme Olafur Eliasson favorise davantage l’effet de surprise avec un décalage brutal entre l’œuvre et le monde extérieur. C’est le cas de l’installation The Weather Project, dans laquelle le public pénètre directement dans une pièce plongée dans le noir. Un demi-soleil vient éblouir le spectateur et perturber ses repères : en effet, sa vue est brouillée par une brume et des miroirs situés au plafond reflétant la lumière émise par le demi-soleil. L’ensemble de la pièce est inondé d’une lumière orangée évoquant celle du lever ou du coucher du soleil. Les sens du spectateur sont modifiés : il ne peut voir qu’en noir et jaune. Cette installation est une expérience totale et immersive pouvant évoquer aussi bien un paysage naturel que les turbines d’une usine électrique ; elle fait appel à la subjectivité de chacun. Tout comme l’œuvre de James Corner, le spectateur peut avoir différents points de vue de l’œuvre, d’en haut ou d’en bas.

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Eliasson Olafur (né en 1967), The Weather Project, 2003, Londres, Turbine Hall de la Tate Modern

Ces artistes ont pour point commun de réaliser des œuvres imposantes occupant tout l’espace afin de brouiller les repères du spectateur et faciliter ainsi l’immersion dans un univers parallèle. Ils ont su reconstituer un environnement naturel reconnaissable par tous. Cependant, chacun y a ajouté sa subjectivité et sa personnalité transportant ainsi le spectateur dans un monde imaginaire.  Afin de réaliser cet environnement, les artistes n’ont pas employé les matières composant l’élément représenté. En effet, James Corner a par exemple, employé un voile bleu afin de symboliser l’eau créant ainsi un espace naturel artificiel. Chaque œuvre joue avec les différents sens (la vue, le toucher) et la place du spectateur au sein de l’installation afin de créer des espaces faisant appel à la subjectivité de chacun.

SOURCES :

Boumbang, IMBERT Clémence, « Tomás Saraceno : La vie dans les sphères », 17 octobre 2011, https://www.boumbang.com/tomas-saraceno/ consulté le 25/10

Dezeen, HOWARTH Dan, « Tokujin Yoshioka uses millions of straws to recreate Tornado installation in Japan », 7/07/2015, https://www.dezeen.com/2015/07/07/tokujin-yoshioka-tornado-installation-japan-millions-straws/ consulté le 27/10

URDESIGN, SCHENCK Timothy, « Icebergs by James Corner Field Operations », 5 juillet 2016, https://www.urdesignmag.com/art/2016/07/05/icebergs-installations-by-james-corner-field-operations-in-d-c/, consulté le 27/10

TATE, TATE modern, « The Unilever Series: Olafur Eliasson: The Weather Project », https://www.tate.org.uk/whats-on/tate-modern/exhibition/unilever-series/unilever-series-olafur-eliasson-weather-project-0, consulté le 27/05

Carnet d’art, M’GOUNI Lolita, « Cumulus, nimbus, cirrus, nuages 3D », 9 juin 2016, http://www.carnetdart.com/cumulus-nimbus-cirrus-nuages-3d/, consulté le 29/10

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