« La peinture à l’huile, c’est fini, terminé. Ce qui nous intéresse maintenant c’est la mort. », voici ce que déclarait l’artiste franco-américaine Niki de Saint Phalle, en 1961, lors d’une de ses performances des Tirs, série d’actions spectaculaires qui n’allait pas laisser l’histoire de l’art indemne. C’est pendant l’exposition Comparaison : sculptures peintures de février 1961 que l’idée lui vient : l’origine ? Son œuvre Saint Sébastien or The Portrait of my lover qui se composait d’une chemise de son amant surmontée d’une cible et sur laquelle les visiteurs étaient invités à lancer des fléchettes.
Saint Sébastien or Portrait of my lover, Niki de Saint Phalle, 1961
Le même mois, avec l’aide de son compagnon Jean Tinguely, elle organise le tout premier Tir, dans l’impasse Ronsin, à Paris, qui ouvre la marche à une série de douze performances qui se dérouleront entre 1961 et 1963 de Paris à New York en passant par Stockholm et Milan et qui lanceront définitivement la carrière de Niki de Saint Phalle.
Séance de tir de Niki de Saint Phalle, Impasse Ronsin, Paris.
Archives et Documentations Centre Pompidou
D’une simple événement spontanée, Niki de Saint Phalle transforme ses Tirs en des performances très codifiées avec une mise en scène bien particulière. Comme un rituel bien huilé, l’artiste-plasticienne prépare ses tableaux avec minutie : à partir de panneaux de bois, elle insère des objets divers, récupérés, dans du plâtre dans lesquels elle glisse des sachets de peintures de couleurs mais aussi des produits alimentaires comme des pâtes, du riz, de la tomate. La composition est de plus en plus travaillée et réfléchie comme on peut le voir par exemple avec son Pirodactyl over New York :
Pirodactyl Over New York, 1962, 250 x 310 x 30 cm, peinture, plâtre,et objets divers sur deux panneaux de bois. Musée Guggenheim, Abou Dabi, Emirats Arabes Unis.
Par la suite, elle invite des personnes – amis artistes, acheteurs- à tirer à la carabine sur les tableaux préparés : l’œuvre se crée sous l’impact des balles avec des explosions de couleurs. A l’image d’un vrai spectacle, les performances se déroulent en public, dans un décor abandonné, en ruines ; Niki dispose ses préparations sur un fond blanc et s’apprête d’un costume blanc. Imaginez-vous un instant assister à l’une des performances, voir ainsi cette femme tirer sur des symboles forts comme la religion, les hommes politiques, des monstres, vous sursautez aux sons assourdissants des tirs. A l’époque, la violence scandaleuse de cet acte en a choqué plus d’un et a été très médiatisé : presque toutes les performances sont photographiées ou filmées pour la télévision. Niki de Saint Phalle a su jouer avec ce personnage d’artiste féministe et provocatrice.
Tirs à Malibu, 1962 (cliquez sur l’image pour voir la performance)
Avec ses Tirs, Niki vient bousculer les codes de la création : mélange entre performance, art corporel, sculpture et peinture, elle nous propose une démarche avant-gardiste où l’arme destructrice devient la composante créatrice de l’œuvre. Elle se place dans la lignée des happenings et performances des années 60 qui questionnent les codes de l’art. Dans les Tirs, on ressent l’influence des Nouveaux Réalistes (dont elle fait partie après son 1er Tir) avec ces assemblages d’objets récupérés ou encore celle des néo-dadaïstes dans la dimension collective et hasardeuse de l’œuvre.
L’impact des Tirs dans l’histoire de l’art a été très inattendu, tant l’œuvre a de multiples sens. Niki de Saint Phalle cherche clairement à choquer avec cette œuvre, mais également, à l’image de tout son travail, elle s’inspire d’elle, de ses convictions. L’art a souvent un rôle thérapeutique pour elle. En tirant, elle soulage sa douleur et sa colère des événements sombres de sa vie et des violences en général. Pour elle, le tableau « saigne » et devient comme une personne blessée, c’est une vraie mise en scène de la mort. Ses œuvres prennent multiples significations : de la critique sociale et politique (Kennedy et Khrouchev enfermés dans un même corps de femme) aux revendications féministes. Comme toute son œuvre, avec ses Tirs, Niki de Saint Phalle a su concilier la violence et le chaos au jeu, l’humour et la joie.
Autel noir et blanc (1961), Kennedy-Khrouchtchev (1962) 202 x 122,5 x 40 cm, peinture, grillage et objets divers sur bois. Sprengel Museum, Hanovre
SITOGRAPHIE :
Grand Palais
http://www.grandpalais.fr/fr/article/niki-de-saint-phalle-et-le-nouveau-realisme
http://www.grandpalais.fr/fr/article/niki-de-saint-phalle-performances-et-spectacles
Site du Musée Guggenheim, Bilbao, Niki de Saint Phalle http://nikidesaintphalle.guggenheim-bilbao.eus/fr/
Niki de Saint Phalle.org, http://nikidesaintphalle.org/
BOUDIER, Laurent, Niki de Saint Phalle, la flingeuse d’art contemporain exposée au Grand Palais, 17 septembre 2014 http://www.telerama.fr/scenes/niki-de-saint-phalle-la-flingueuse-de-l-art-contemporain,115984.php
LAUNET, Edouard, Niki de Saint Phalle les armes à fond, 18 septembre 2014 http://next.liberation.fr/culture/2014/09/18/niki-de-saint-phalle-les-armes-a-fond_1103370
IMAGES :
Archives et documentations Centre Pompidou, Fonds Harry Shunk et Shunk-Kender http://archivesetdocumentation.centrepompidou.fr/
VIDEOS ET DOCUMENTAIRE :
Ina.fr, Les Tirs Niki de Saint Phalle, 25 avril 1961, http://www.ina.fr/video/I05127774
Le Grand Palais, Les Tirs de Niki de Saint Phalle, 29 septembre 2014 https://www.youtube.com/watch?v=s5MUxuY4Hbw
Documentaire Arte, Emission Arts cultures, Niki de Saint Phalle & Jean Tinguely – Les Bonnie & Clyde de l’Art, 55′, https://www.youtube.com/watch?v=3y-I-KpxiG8
Le Blog d'Histoire de l'Art des ES2 